Quel est le bon timing pour céder ?


Par Gilles LEVY, GL Consultant
Retour
Gilles LEVY GL Consultant
Tél : 0241484485 - Email : gilles-levy@bbox.fr
Quel est le bon timing pour céder ?

Préparer une transmission d'entreprise, pour un cédant arrivant à l'âge de la retraite, ne se résume pas à quelques éléments techniques. Il y a évidemment beaucoup de paramètres à prendre en compte et d'éléments pratiques à mettre en place, depuis la valorisation de l'entreprise jusqu'à la cession elle-même. Il faut bien sûr rendre l'entreprise attractive, la préparer sur le plan financier, comptable et juridique mais l'expérience montre que si cette préparation minutieuse est indispensable et incontournable, elle n'est pas gage d'une transmission réussie.

La transmission n'est pas qu'une cession au sens de la cession d'actif. Ce cas de figure existe, il est de plus en plus fréquent dans les jeunes générations de chefs d'entreprise mais nous sommes là sur un acte de gestion.

La transmission est le fait d'un dirigeant qui aspire à la retraite et souhaite se retirer sans heurt ni pour l'entreprise ni pour lui-même. Le challenge est de taille. Pour soi-même c'est le plus souvent une part très importante d'investissement personnel, une tranche de vie que l'on abandonne. Pour l'entreprise, c'est un tournant important dans sa composante la plus humaine.

Comme dans la fable, rien ne sert de courir, il faut partir à point.

Les pièges du temps

Le temps est un allié de poids. C'est souvent le plus terrible des ennemis. Dans le cas d'une transmission d'entreprise réussie, c'est souvent une question de timing.

Y a t'il un bon timing ? Il n'y a pas de réponse objective, chaque cas est un cas particulier mais il est certain que le mauvais timing existe et qu'il peut en grande partie être évité.

Trop court, trop tôt, trop long, trop tard... le temps qui sépare la première réflexion de l'acte de cession est un des facteurs clés.

Les éléments extérieurs qui provoquent l'idée de céder son entreprise sont multiples. Souvent, il s'agit d'événements conjoncturels, d'un marché en régression, de durcissement de la législation, de concurrence sauvage. Il y a les événements familiaux, l'âge, l'essoufflement ressenti, ou la perte d'un ami très proche du même âge... Ces facteurs externes sont le plus souvent à l'origine d'une prise de conscience : il est temps de songer à passer la main !

Plutôt que de rentrer dans des considérations ou des hypothèses abstraites, quelques exemples illustreront mieux cette problématique.

TROP COURT

Monsieur D., patron d'une PME de 12 personnes dans la chaudronnerie tuyauterie est appelé à l'atelier pour faire le constat d'un accident de travail. Les jours de l'employé ne sont pas en danger mais son état impose un transfert à l'hôpital. Des accidents de ce type, monsieur D. en a déjà vu mais celui-ci est l'accident de trop. Une vague de découragement le submerge : plus jamais ça! Il a 62 ans, toutes ses annuités... C'en est trop, nous sommes en juin, au 31 décembre il aura vendu! Au 1er janvier il sera en retraite.

Si l'événement en lui-même peut justifier la décision, le temps imparti pour la réaliser est beaucoup trop court. Rien n'est prêt. L'été arrive, la recherche de repreneur n'interviendra réellement qu'en septembre alors même que M. D. n'est en contact avec aucun réseau efficace.

Fidèle à ses convictions et à la ligne de conduite qui a été la sienne depuis plus de trente ans à la tête de son entreprise, M. D. ne dérogera pas à la date qu'il s'était fixée : le 31 décembre au soir l'entreprise était définitivement fermée. Rien ne permet de dire que l'entreprise aurait trouvé preneur mais le temps était vraiment trop court pour espérer un résultat.

TROP TOT

L'entreprise P. est spécialisée dans la production et la découpe de mousses et polymères. M. H. son dirigeant, gérant majoritaire, a réalisé de lourds investissements 3 ans auparavant dans une machine de découpe allemande ultrasophistiquée. Cet investissement, compte tenu d'une mise au point longue et délicate, n'a pas permis d'atteindre la part de marché visée ni, comme prévu, de prendre de vitesse la concurrence. Cet outil est difficilement revendable car trop spécifique et les amortissements alourdissent considérablement les comptes de la société; au point de l'entraîner au bord du gouffre. Licenciements (une première pour l'entreprise), restructuration et action commerciale ont ramené l'équilibre mais dans une situation de grande tension qui use le personnel et le dirigeant. Décision est donc prise de trouver un repreneur. M. H. a 57 ans, il a commencé à travailler jeune et il lui reste peu à cotiser pour prendre sa retraite et faire ce qu'il a toujours préféré : de la R&D !

Le profil du repreneur est clair : un ingénieur de préférence, ayant une expérience de la gestion et du management et qui accepterait une double commande en tant que DG pendant 2 à 5 ans avant de reprendre totalement l'entreprise.

Voilà une préparation de transmission qui s'annonce bien. Le repreneur est trouvé en quelques mois grâce aux réseaux du dirigeant; il est dans le profil.

Avant de sceller la cession partielle, le repreneur souhaite réaliser un audit approfondi. Rien que de légitime et cohérent. Au cours de ses investigations, en liens étroits avec ses conseils, le dirigeant et les conseils du dirigeant, il met en évidence la réelle potentialité de l'entreprise. En particulier, la machine spéciale étant prochainement amortie et la situation étant assainie, l'entreprise restaure une excellente rentabilité qui doit lui permettre de lancer les développements et les innovations quelles n'a pu, jusque là, présenter sur le marché.

C'est un élément majeur dans le processus. Le dirigeant en est fortement ébranlé. Il reprend goût aux affaires et décide ... de ne plus céder.

Le facteur déclenchant de la cession n'était pas pertinent. Le cédant n'était pas prêt, il avait simplement fléchi quelques temps sous le poids des contraintes financières et avait été meurtri par les licenciements auxquels il avait dû procéder.

Se sentant "trop jeune pour faire un bon retraité", il est parti trop tôt dans l'aventure. Une bonne analyse amont des potentialités de l'entreprise, une valorisation pertinente - sachant qu'il souhaitait une double commande longue - auraient dû permettre de ne pas enclencher le processus.

TROP LONG

Vente, réparation et maintenance de bateaux à moteur, commerce d'accastillage et tout matériel pour la pêche et les loisirs en mer. L'entreprise MC se définit comme étant le plus gros commerce de ce petit port de l'atlantique. Avec ces 2 millions d'euros de CA, 11 employés, un emplacement privilégié sur la zone portuaire et plusieurs places disponibles dans le port, ce patron - artisan commerçant- a de quoi être fier. Parti d'un petit atelier de réparation de "cycles et motocycles" il avait monté cette affaire il y a plus de trente ans. Seulement, voilà bientôt 60 ans qu'il travaille! Monsieur C. approche de ses 74 ans. En pleine santé, c'est un redoutable négociateur. Sous la pression de son épouse, il pense bien à passer le relais mais il se sent encore bien vert et surtout (ses copains - d'enfance - lui répètent tous les jours) il sait que lorsqu'il passera définitivement la porte de l'entreprise... il n'en aura plus pour longtemps.

Pourtant, depuis 3 ans il cherche sans chercher. Laisse croire qu'il est vendeur. Il a fait faire une estimation mais sait bien que sa "boite" vaut plus et prend le haut de la fourchette de valorisation. Quand, après six repreneurs successifs qu'il a éconduits sans ménagement, son "pote" de maternelle décède brutalement, c'est le choc! Ils étaient pourtant tous taillés dans le même bois, du bois de flottaison, dur, sec, buriné... celui qui fait des centenaires. Un septième repreneur est alors en contact avec ses conseils. Une négociation débute, tendue. Elle ne porte pas dans un premier temps sur le prix - trop élevé - mais sur l'audit global. Le dossier de reprise est monté mais le financement tarde du fait d'une demande des banques de réduire le prix du fond et de travailler sur un crédit vendeur. Plus de 18 mois seront nécessaires pour que le cédant accède et comprenne l'évidence. Le dossier financier est finalement avalisé par l'ensemble des partenaires mais ce n'est encore pas le moment! On est en "saison"... puis viendra le salon nautique... Le cédant n'est toujours pas prêt. Long, beaucoup trop long. Le processus après deux ans et demi n'est toujours pas terminé le jour où monsieur C. est hospitalisé d'urgence dans un état critique, victime d'un infarctus. Très diminué, il est toujours aux commandes d'une structure qui, reposant entièrement sur lui ne vaudra bientôt plus rien.

Surtout, ne pas laisser traîner. Trop long, signifie parfois trop tard!

Le vers dans le fruit!

Le vers est dans le fruit! Quel vers? Celui de la petite idée qui taraude et transforme tous les jours un peu plus.

Tant que le dirigeant n'a pas évoqué l'idée même de céder son entreprise, il ne se passe rien. Du jour où celle-ci apparaît et qu'il s'en empare, il a beau s'en défendre, elle s'insinue lentement dans son esprit, dans ses actes, ses décisions; au quotidien comme pour le moyen terme. C'est un processus normal.

Il est réversible; M. H. a bien décidé de ne plus vendre. Mais il n'est pas neutre dans le management de la période qui s'écoule depuis l'idée jusqu'à la cession.

Ce qui est le plus frappant c'est de voir se transformer le processus décisionnel du dirigeant. Il n'est plus toujours en cohérence avec ses comportements antérieurs, il pense déjà à l'après.

Revenons vers M. C. Après le choc lié au décès de son ami d'enfance, toutes les phases de la transmission ayant été préparées et dans l'attente de la finalisation du dossier financier, il a entrepris de "faire le ménage avant de partir". L'un des leviers majeurs de son activité était la reprise puis la revente de bateaux d'occasion. Le repreneur refusant le stock d'occasion, il a donc entrepris de le liquider au plus vite alors que le repreneur lui avait octroyé une facilité de dépôt-vente afin de ne pas déstructurer les flux et les équilibres entre le neuf et l'occasion. Le résultat ne s'est pas fait attendre : il n'a pas réalisé les quotas de matériel neuf imposé par les marques (menaçant le renouvellement des cartes de distribution), il a fortement accru son BFR (stock neuf) et donc déstabilisé sa trésorerie.

L'exemple (vrai) est ici quasi caricatural, le dirigeant étant un personnage hors du commun.

Mais il faut rester très vigilant sur cette transformation psychologique induite par la décision de partir et le temps qui influent sur le comportement jusqu'à mettre l'entreprise ou le processus de transmission en péril.